Arrêt n˚ 174/2025 (Communiqué de presse)
Trois mois après l’avoir suspendue, la Cour annule l’ordonnance bruxelloise qui reporte l’application de la zone de basses émissions (LEZ) du 1er janvier 2025 au 1er janvier 2027 notamment pour les voitures diesel Euro 5 et les voitures essence Euro 2
La quasi-totalité du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale est une zone de basses émissions (LEZ pour low emission zone), à savoir une zone dont l’accès est restreint ou interdit pour certains véhicules automoteurs afin de lutter contre la pollution atmosphérique et d’améliorer la qualité de l’air. Sa mise en œuvre a lieu en plusieurs phases. Le 1er janvier 2025, une nouvelle phase est entrée en vigueur. Le 21 mars 2025, le législateur bruxellois a adopté une ordonnance pour reporter l’application de cette phase. Cette ordonnance a pour effet que certains véhicules, qui n’étaient plus autorisés à circuler dans la LEZ depuis le 1er janvier 2025, y sont à nouveau autorisés jusqu’au 31 décembre 2026 inclus. Il s’agit notamment des voitures diesel Euro 5 et des voitures essence Euro 2. Plusieurs associations et particuliers ont introduit un recours contre l’ordonnance du 21 mars 2025.
Par son arrêt n° 115/2025 du 11 septembre 2025, la Cour a suspendu l’ordonnance attaquée. Par l’arrêt de ce 11 décembre 2025, la Cour se prononce sur le recours en annulation. La Cour juge fondé le moyen invoquant la violation de l’article 23 de la Constitution : l’ordonnance attaquée entraîne un recul significatif du degré de protection du droit à la santé et du droit à un environnement sain et ce recul n’est pas raisonnablement justifié. La Cour annule donc l’ordonnance du 21 mars 2025.
Arrêt n˚ 168/2025 (Communiqué de presse)
Les dispositions flamandes qui prévoient un motif d’exception absolu à la publicité de l’administration pour des informations concernant l’importation, l’exportation, le transit et le transfert de produits liés à la défense sont inconstitutionnelles
L’article 50, § 4, du décret flamand du 15 juin 2012 énonce une obligation de secret sur l’importation, l’exportation, le transit et le transfert de produits liés à la défense. Lorsqu’une demande de publicité porte sur de telles informations, l’instance publique doit la rejeter si elle estime que la divulgation des informations demandées risque d’être dommageable pour les personnes concernées. Selon l’article II.34, 1°, du décret flamand de gouvernance, cette obligation de secret constitue un motif d’exception absolu à la publicité de l’administration. Cela signifie que l’autorité publique ne doit pas vérifier si l’intérêt protégé prévaut sur l’intérêt de la publicité, ce qui serait le cas pour un motif d’exception relatif. Le Conseil d’État demande à la Cour si ces dispositions violent le principe d’égalité et de non-discrimination et le droit d’accès aux documents administratifs.
La Cour juge ces dispositions inconstitutionnelles. Selon elle, les intérêts que le législateur flamand veut protéger peuvent tout aussi bien être protégés en recourant aux exceptions relatives. En instaurant une exception absolue, le législateur flamand a par conséquent pris une mesure non proportionnée à l’objectif poursuivi.
Arrêt n˚ 165/2025 (Communiqué de presse)
La Cour rejette en grande partie les recours dirigés contre de nouvelles mesures qui protègent les joueurs en matière de jeux de hasard, mais elle juge qu’il est discriminatoire que des mesures analogues n’aient pas été instaurées pour certains jeux de loterie en ligne de la Loterie nationale
Une loi du 18 février 2024 introduit quatre nouvelles mesures de protection des joueurs en matière de jeux de hasard (en ce compris les paris). Ces mesures sont : (1) l’interdiction pour les opérateurs de jeux de hasard en ligne de cumuler sur un même site internet plusieurs licences distinctes et de rediriger les joueurs d’un site internet à l’autre, (2) la généralisation de la condition d’âge de 21 ans pour tous les jeux de hasard, (3) la clarification de l’interdiction des bonus et (4) l’interdiction de principe de la publicité. Plusieurs sociétés actives dans le secteur des jeux de hasard demandent l’annulation de ces mesures.
La Cour rejette l’essentiel des critiques des parties requérantes. La Cour juge cependant qu’il est discriminatoire de ne pas prévoir des mesures analogues pour certains jeux de loterie en ligne de la Loterie nationale. Concernant la première mesure, la Cour constate que la discrimination trouve sa source dans la modification attaquée de la loi sur les jeux de hasard. La Cour annule dès lors cette disposition, mais elle en maintient les effets jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle législation, et au plus tard jusqu’au 31 décembre 2026. Quant aux trois autres mesures, la Cour considère que la discrimination ne résulte pas des modifications attaquées de la loi sur les jeux de hasard, mais du fait que des mesures analogues pour certains jeux de loterie en ligne ne sont pas prévues dans la loi sur la Loterie nationale. La Cour n’annule donc pas ces trois modifications de la loi sur les jeux de hasard, mais elle impose au législateur de remédier à ces discriminations au plus tard le 31 décembre 2026.
Arrêt n˚ 163/2025 (Communiqué de presse)
Les dispositions législatives qui introduisent pour certains détenus un régime de sécurité particulier individuel de surveillance par caméra dans la cellule et la limitation ou l’exclusion du droit de visite sont constitutionnelles à certaines conditions mais, dans le cas d’un recours contre la décision par laquelle un tel régime est imposé, l’organe de recours doit pouvoir réformer cette décision
Une loi du 15 mai 2024 introduit un régime de sécurité particulier individuel (RSPI) pour les détenus inculpés ou condamnés pour certaines infractions à la législation sur les stupéfiants ou commises en bande. Deux mesures spécifiques peuvent être prises dans le cadre de ce régime : (1) l’observation permanente par caméra et (2) l’exclusion ou la limitation du droit de visite. La Liga voor Mensenrechten demande l’annulation de ces dispositions législatives.
La Cour juge qu’il n’est pas raisonnablement justifié qu’en cas d’annulation de la décision du directeur général de l’administration pénitentiaire imposant ou renouvelant un RSPI spécifique, la Commission d’appel du Conseil central ne puisse y substituer sa propre décision. Par conséquent, la Cour annule la disposition de la loi du 15 mai 2024 qui limite les compétences de la Commission d’appel.
Par ailleurs, la Cour juge que les dispositions attaquées doivent être interprétées d’une manière déterminée. Premièrement, il découle de ce que la mesure d’observation par caméra ne peut être imposée que dans le « respect de la dignité humaine du détenu » que ce dernier ne peut pas être filmé lorsqu’il fait sa toilette ou ses besoins. Deuxièmement, le directeur général doit mentionner dans sa décision les circonstances concrètes montrant que le détenu représente un risque réel et grave pour la sécurité, en prison ou à l’extérieur, en raison de ses liens avec la criminalité organisée. Sous réserve de ces deux interprétations, la Cour rejette le recours pour le surplus.
Arrêt n˚ 160/2025 (Communiqué de presse)
La Cour rejette l’essentiel des critiques dirigées contre la procédure pénale accélérée et le trajet restauratif, mais elle pose trois questions préjudicielles à la CJUE concernant la mesure de confiscation d’immeubles utilisés pour des infractions en matière de stupéfiants
L’Ordre des barreaux francophones et germanophone et la Liga voor Mensenrechten demandent l’annulation des dispositions de la loi du 18 janvier 2024 qui concernent la mise en place d’une procédure pénale accélérée pour certaines affaires, la confiscation des immeubles ayant servi ou étant destinés à commettre des infractions en matière de stupéfiants, ainsi que le « trajet restauratif ».
Ce dernier permet de donner, par un accompagnement intensif, une réponse immédiate et adaptée aux problématiques de dépendance, d’agressivité ou psychosociales d’un prévenu, à la demande de ce dernier et avant qu’il soit statué sur les faits qui lui sont reprochés. La Cour rejette les critiques dirigées contre ce trajet restauratif.
Elle rejette également la plupart des critiques dirigées contre la procédure pénale accélérée, notamment en ce qui concerne son champ d’application, les garanties dont disposent les prévenus et les victimes et les voies de recours disponibles. La Cour annule cependant une des dispositions attaquées en ce qu’elle ne garantit pas l’accès de l’inculpé et de son avocat au dossier répressif avant la confirmation de l’accord irrévocable de l’inculpé à la procédure accélérée. La Cour maintient toutefois les effets de cette disposition pour le passé.
En ce qui concerne la mesure de confiscation d’immeubles, dès lors qu’elle résulte du droit de l’Union, la Cour pose trois questions préjudicielles à la CJUE à ce sujet et décide d’attendre la réponse à ces questions avant d’examiner les autres critiques relatives à cette mesure.
Arrêt n˚ 159/2025 (Communiqué de presse)
La réduction substantielle du montant imposable sur lequel la taxe compensatoire des droits de succession est perçue, qui vaut uniquement pour les A(I)SBL et les fondations privées actives dans certains secteurs sociaux, est inconstitutionnelle, mais la Cour maintient temporairement les effets de la mesure
Les ASBL, les AISBL et les fondations privées doivent payer chaque année une « taxe compensatoire des droits de succession » (aussi connue sous le nom de « taxe patrimoniale »). Une loi du 28 décembre 2023 réforme cette taxe. Cette loi prévoit que la base imposable se compose en principe de l’ensemble des avoirs des redevables, où que ces avoirs se trouvent. Cela étant, pour les redevables relevant de certains secteurs (soins, sport, enseignement, culture, entreprises de travail adapté agréées, maisons médicales, associations de santé intégrées et centres de santé de quartier agréés, refuges pour animaux agréés et centres agréés d’archives privées), la base imposable est réduite de 62,3 %. En ce qui concerne le taux de la taxe, il est prévu un taux progressif par tranches, qui va de 0 % à 0,45 %. Plusieurs personnes morales soumises à cette taxe demandent l’annulation de ces nouvelles dispositions.
La Cour juge que les dispositions attaquées ne violent pas les règles répartitrices de compétences. En revanche, selon la Cour, il est discriminatoire que la réduction de 62,3 % de la base imposable soit prévue seulement pour certains secteurs. En effet, sur la base des éléments avancés dans les travaux préparatoires, les redevables relevant de ces secteurs ne se distinguent pas d’autres redevables comparables. La Cour annule dès lors la disposition qui prévoit cette réduction, mais elle en maintient les effets jusqu’au 31 décembre 2026 au plus tard.
Arrêt n˚ 158/2025 (Communiqué de presse)
Une personne qui a été adoptée par le conjoint de l’un de ses parents d’origine doit pouvoir choisir de porter exclusivement le nom de l’autre parent d’origine
Une disposition législative limite les possibilités de changement de nom d’une personne qui a été adoptée par le conjoint de l’un de ses parents en ce sens qu’elle peut uniquement prendre soit le nom de ce parent, soit celui de l’adoptant, soit ces deux noms accolés. En conséquence, la personne adoptée ne peut pas porter exclusivement le nom de l’autre parent d’origine, même si elle le portait avant l’adoption.
Le tribunal de la famille demande à la Cour si cette disposition est compatible avec le droit au respect de la vie privée et familiale.
La Cour juge que, dans l’interprétation selon laquelle une personne qui a été adoptée par le conjoint de l’un de ses parents d’origine ne peut pas choisir de porter exclusivement le nom de l’autre parent d’origine, la disposition législative en question viole le droit au respect de la vie privée et familiale.
Selon la Cour, cette disposition peut toutefois aussi être interprétée en ce sens qu’une personne qui a été adoptée par le conjoint de l’un de ses parents d’origine peut choisir de porter exclusivement le nom de l’autre parent d’origine. Dans cette interprétation, il n’y a pas violation du droit au respect de la vie privée et familiale.
Arrêt n˚ 156/2025 (Communiqué de presse)
Un procès-verbal relatif à des faits qui se sont produits en région de langue allemande doit être établi en allemand, quelle que soit la région linguistique dans laquelle sa rédaction a lieu
En vertu de l’article 11 de la loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire, les procès-verbaux d’infractions sont rédigés en allemand dans la région de langue allemande. Cette disposition peut être interprétée de deux manières. Selon une première interprétation, l’autorité verbalisante rédige le procès-verbal dans la langue du territoire où les faits se sont produits. Selon une seconde interprétation, l’autorité verbalisante rédige le procès-verbal dans la langue du territoire où celui-ci est établi.
Selon la Cour, la disposition, dans cette dernière interprétation, est inconstitutionnelle. Compte tenu du fait que le législateur a entendu consacrer le principe « langue régionale, langue véhiculaire » et la primauté de la langue de la région unilingue, il n’est pas pertinent que l’autorité verbalisante puisse elle-même choisir la langue du procès-verbal en choisissant le lieu de rédaction de celui-ci. Cependant, si la disposition est interprétée en ce sens que le lieu où les faits se sont produits est déterminant pour la langue du procès-verbal, elle est constitutionnelle.
Arrêt n˚ 143/2025 (Communiqué de presse)
La Cour rejette en grande partie les recours contre la loi qui prévoit une nouvelle étape dans la suppression de la vente de produits de tabac, mais juge discriminatoire que la loi interdise la vente de produits de tabac dans les commerces alimentaires de plus de 400 m², mais pas dans ceux de moins de 400 m²
Plusieurs parties requérantes ont introduit un recours en annulation contre la loi du 21 mars 2024 qui prévoit une nouvelle étape dans la suppression de la vente de produits de tabac. À cette fin, cette loi introduit un certain nombre de mesures relatives à la vente, à la publicité et à la promotion des produits de tabac.
La Cour rejette la plupart des critiques formulées par les parties requérantes. Elle rejette notamment les critiques relatives à l’interdiction temporaire de vente de produits de tabac pouvant être imposée à titre de sanction pénale, à l’interdiction d’exposer des produits de tabac aux et dans les points de vente, à l’interdiction de vendre des produits de tabac dans des points de vente temporaires et à l’obligation pour un vendeur de produits de tabac de demander une pièce d’identité à toute personne souhaitant acheter des produits de tabac et paraissant avoir moins de 25 ans.
La Cour annule toutefois la disposition de la loi attaquée qui interdit la vente de produits de tabac dans les commerces alimentaires de plus de 400 m². Selon la Cour, il n’est pas raisonnablement justifié que l’interdiction s’applique aux magasins d’alimentation de plus de 400 m², mais pas à ceux de moins de 400 m². La Cour maintient toutefois les effets de cette disposition jusqu’au 31 décembre 2026, afin que le législateur puisse remédier à l’inconstitutionnalité et que la protection supplémentaire de la santé publique offerte par la disposition annulée ne soit pas compromise.
Arrêt n˚ 142/2025 (Communiqué de presse)
La Cour rejette en grande partie le recours en annulation de la loi qui permet aux communes d’empêcher l’exploitation d’établissements dans le cadre de la lutte contre la criminalité déstabilisante
La loi du 15 janvier 2024 permet aux communes de refuser de délivrer un permis pour l’exploitation d’un établissement ou de fermer l’établissement lorsqu’il existe un risque ou des indices sérieux que l’établissement est ou sera utilisé pour la « criminalité déstabilisante ».
L’Institut fédéral pour la protection et la promotion des droits humains (IFDH) demande l’annulation de ces mesures.
Selon la Cour, les mesures attaquées ne sont pas des sanctions pénales, ni en droit belge, ni en droit international. Ce sont des mesures de police administrative qui visent à prévenir, au niveau communal, le risque lié au développement de la criminalité déstabilisante. Dès lors, le législateur ne devait pas prévoir les garanties applicables en matière pénale.
La Cour juge ensuite que les mesures attaquées sont globalement conformes au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre des exploitants, compte tenu des garanties prévues par le législateur (appréciation du risque par plusieurs autorités, audition de l’exploitant, motivation, etc.). Cependant, la Cour juge que les droits des exploitants ne sont pas suffisamment protégés en cas d’évolution de la situation après l’adoption de la mesure par la commune. Elle annule donc la loi attaquée sur ce point.